A. Ratti: Vincenzo Dalberti. Una vita per il Ticino

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Titel
Vincenzo Dalberti. Una vita per il Ticino


Erschienen
Locarno 2021: Armando Dadò Editore
Anzahl Seiten
259 S.
von
Damiano Bardelli

Cet ouvrage, issu d’un mémoire de maîtrise soutenu par Alessandro Ratti à l’Université de Fribourg en 2016, vient enrichir la littérature sur la naissance du canton du Tessin, un sujet qui a connu un discret succès éditorial ces dernières années.1 Toutefois, à la différence des publications les plus récentes sur le sujet, Ratti s’intéresse moins aux événements et aux dynamiques de la création du canton qu’à la vie d’un de ses acteurs les plus influents, l’abbé Vincenzo Dalberti (1763–1849). Ratti analyse ainsi la biographie de l’ecclésiastique tessinois dans l’objectif de mettre en évidence les traits marquants de son action politique et de sa pensée à travers un double prisme, celui de son catholicisme et de son amour pour la liberté.

Vincenzo Dalberti naît à Milan le 20 février 1763 dans une famille d’émigrés originaire d’Olivone, au Val Blenio. Sa santé fragile lui empêche de suivre la carrière paternelle de chocolatier, mais ses qualités intellectuelles et sa propension à la vocation sacerdotale lui ouvrent la voie des études, d’abord chez les Barnabites puis aux écoles de Brera, où il approfondit sa formation théologique. Confronté à l’impossibilité d’obtenir une charge pastorale satisfaisante à Milan, il finit par s’établir à Olivone en 1798, où il détenait un modeste bénéfice ecclésiastique depuis sa première visite dans le village, une quinzaine d’années plus tôt. Son établissement au Val Blenio coïncide avec les bouleversements institutionnels de la Révolution helvétique, une situation exceptionnellement stimulante pour le jeune et brillant abbé, correspondant de Paul Usteri et de Frédéric-César de La Harpe. Il s’investit alors intensément dans la vie politique. Discret sous l’Helvétique, notamment à cause de l’interdiction pour les ecclésiastiques d’exercer des charges publiques, il s’affirme comme la figure la plus marquante du gouvernement tessinois sous la Médiation, dès la création du nouveau canton. Après avoir été mis aux marges au début de la Restauration, il revient sur le devant de la scène en qualité de Secrétaire d’État entre 1817 et 1830 et intègre à nouveau le gouvernement cantonal pendant la Régénération. Laprise de pouvoir (armée) par les Radicaux en 1839 met fin à sa carrière politique, en le condamnant d’abord à l’opposition et enfin à la marginalité, sa vision politique ne trouvant plus d’appuis dans un contexte culturel, institutionnel et idéologique radicalement transformé par rapport au jeune Tessin né de la Médiation napoléonienne.

Plutôt qu’un récit événementiel, Ratti propose une analyse biographique basée principalement sur la riche correspondance de Dalberti, dans laquelle la vie et les idées de ce dernier s’alternent avec des ancrages contextuels sur les événements, la culture et la vie intellectuelle de l’époque, dans un jeu d’échelles entre le niveau proprement local et celui, plus vaste, du continent. Le résultat est un récit avec une structure chronologique, de la naissance à la postérité de Dalberti, axé autour des trois valeurs qui – selon l’auteur – auraient caractérisé la figure de l’homme politique tessinois, à savoir la foi, la patrie et la liberté. Ce récit – entravé parfois, cela soit dit en passant, par un recours fréquent à de longues citations des sources – est encadré par la présentation de Silvia Arlettaz et la préface de Fabrizio Panzera, qui permettent respectivement de clarifier l’approche de Ratti et de situer les étapes de la vie de Dalberti dans les événements politiques tessinois de la première moitié du XIX e siècle. Le livre inclut en outre une brève présentation de l’émigration du Val Blenio à l’époque moderne, basée entièrement sur la littérature secondaire et qui intéressera surtout un public non spécialiste. Comme pour d’autres publications récentes de la collection L’Officina des éditions Dadò, le lecteur ne trouvera en revanche pas d’index, qui aurait pourtant été bienvenu au vu du sujet.

Bien que Vincenzo Dalberti soit la figure la plus étudiée parmi les «pères fondateurs» du Tessin (à l’exception peut-être de Giovanni Battista Quadri), l’ouvrage de Ratti présente un double intérêt. D’un côté, il s’agit de la première étude approfondie à caractère scientifique de la vie de Dalberti, allant au-delà des événements marquants de sa vie pour essayer d’en saisir l’essence, les valeurs et les convictions, mais aussi les limites de son action politique. D’un autre côté, le livre permet de populariser la figure de Dalberti auprès du grand public, auquel s’adresse aussi l’ouvrage. Il présente ainsi une figure oubliée malgré son rôle cardinal dans l’histoire du canton tout en dépassant les positions partisanes et hagiographiques d’autres biographies dédiées à l’abbé, en particulier dans la presse politique et régionale. Le travail de Ratti est donc aussi – et peut-être surtout – un engagement civique, d’autant plus louable si l’on tient compte de l’appauvrissement vécu par la culture politique tessinoise au cours des trente dernières années.

Néanmoins, le lecteur familier avec les derniers développements historiographiques sur les Lumières ne pourra pas s’empêcher de se demander si la grille de lecture basée sur le triptyque «foi, patrie, liberté», qui fait ressortir des pistes interprétatives intéressantes, n’en cache pas d’autres qui auraient pu être plus pertinentes et fertiles pour la compréhension de la figure de Dalberti. Certes, Ratti évite le piège – courant dans l’historiographie tessinoise – de définir l’homme politique par rapports aux camps libéral et conservateur, et s’efforce plutôt de mettre en évidence l’originalité de sa pensée. Mais en cristallisant son interprétation autour des valeurs «foi, patrie, liberté», Ratti relègue en arrière-plan la place occupée par les Lumières dans la pensée et l’action réformatrice de Dalberti. Sur la base d’une littérature introductive datée, il réduit les Lumières à une sorte d’humus constitué dans la jeunesse de l’abbé duquel auraient germés ses valeurs ultérieures. Mais on est justement en droit de se demander si les convictions et l’action réformatrice de l’abbé, formées dans la Milan du Caffé et de l’Accademia dei Pugni, inclassables d’après les catégories politiques du XIX e siècle, honnies à tour de rôle par les conservateurs et les libéraux suivant la conjoncture politique, ne devraient pas être expliquées par son adhésion aux Lumières, et plus spécifiquement à ce que la littérature récente appelle les «Lumières catholiques». Plus qu’un cattolico liberale, comme l’avait défini Panzera dans la presse politique tessinoise il y a une vingtaine d’années, 2 Dalberti semble être un illuminista cattolico, comme nombre d’autres ecclésiastiques de la péninsule italienne et des cantons suisses, à l’image du chanoine Charles-Aloyse Fontaine (1754–1834) et du père Grégoire Girard (1765–1850), deux contemporains de Dalberti, représentants fribourgeois des Lumières catholiques et protagonistes d’une étude récente de l’historien Damien Savoy.3

Malgré la fascination pour la figure de Dalberti dont Ratti fait preuve au fil du travail et nonobstant les doutes évoqués ci-dessus par rapport à son approche, l’ouvrage se fait tout de même remarquer par son ampleur et sa rigueur. Le livre ne bénéficiera donc pas seulement au grand public, mais aussi à la recherche sur la construction du canton du Tessin, un domaine dans lequel il restera une référence incontournable dans les années à venir – en attendant qu’une autre historienne ou un autre historien relève le défi d’étudier Vincenzo Dalberti à travers le prisme des Lumières catholiques.

Notes
1 Voir notamment Heinrich Zschokke, La guerra civile nella Svizzera italiana, éd. par Marco Schnyder, Locarno 2017 (coll. I Cristalli, vol. 46) et Manolo Pellegrini, La nascita del cantone Ticino. Ceto dirigente e mutamento politico, Locarno 2020 (coll. L’Officina, vol. 35).
2 Fabrizio Panzera, L’abate Dalberti, un cattolico liberale, in: Popolo e Libertà 23, 2003, p. 11.
3 Damien Savoy, Les Lumières catholiques à Fribourg. Trajectoires et actions réformatrices des prêtres éclairés Charles-Aloyse Fontaine et Grégoire Girard, Neuchâtel 2022.

Zitierweise:
Bardelli, Damiano: Rezension zu: Ratti, Alessandro: Vincenzo Dalberti. Una vita per il Ticino, Locarno 2021. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte 73(3), 2023, S. 384-386. Online: <https://doi.org/10.24894/2296-6013.00134>.

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